Séparatismes : l’Ancien régime vous salue bien bas

Séparatismes : l’Ancien régime vous salue bien bas

Par Alessio Motta, enseignant-chercheur en science politique, Epitech Paris


A l’heure où nos ministres et parlementaires s’inquiètent des « séparatismes » issus du Tiers-Etat et cherchent à dissoudre les organisations tenant des groupes de parole non mixtes, certains savent préserver, avec la pudeur dont ils ont le secret, leur séparatisme blanc. Je ne parlerai pas ici du Clergé. Certes, son organisation repose depuis bien longtemps sur des principes de non-mixité et d’attribution sexuée des postes qui défient publiquement toutes les normes juridiques de lutte contre les discriminations. Mais il sera question, dans ces lignes, de la Noblesse.

Il y a quelques jours, l’Association d’entraide de la Noblesse Française (ANF) a lancé la quatrième édition du Prix ANF Excellence. Il s’agit d’une bourse d’études de 10 000 euros visant à « récompenser le mérite et le travail d’un étudiant dont le parcours d’études supérieures vise l’excellence ». Le 11 avril, on comprenait avec joie dans le Figaro étudiants que cette bourse avait permis de contribuer au rêve américain de sa dernière lauréate, la princesse Marie-Camille de Polignac.

Vous l’avez bien compris, ce prix n’est pas ouvert à tous. Il s’adresse aux étudiants portant « un nom inscrit dans la table des familles de l’ANF ». Et l’ANF veille : la « Commission des Preuves » a pour mission de trier le bon grain de l’ivraie en s’assurant que les processus de reconnaissance et d’adhésion ne laissent pas passer de titres et particules acquis de façon irrégulière après l’Ancien régime. Outre l’appartenance de ses membres à une église chrétienne, l’association « effectue un contrôle des archives régulier. La noblesse française se transmet aujourd’hui par les hommes. Il s’agit d’une noblesse par degré, et non par quartier. L’ascendance féminine est donc totalement effacée ».

La publicité générée par ce prix d’excellence est donc l’occasion de se rappeler qu’une association dont le recrutement, les réunions et les prix reposent très officiellement sur la non-mixité d’origine et la discrimination de race peut poursuivre ses activités sans inquiétude… si la race en question est blanche et le sang transmis, bleu.

La beauté du travail de promotion de la Noblesse atteint son summum quand on sait que depuis 1967 et pendant 60 ans, l’ANF a bénéficié, au même titre que partis politiques et associations caritatives, de la reconnaissance d’utilité publique et des avantages fiscaux qui s’ensuivent pour ses donataires. En avril 2019, son président regrettait dans un éditorial la perte récente de ce privilège et présentait les conclusions d’une réflexion interne visant à changer les statuts pour être de nouveau reconnus d’utilité publique. Pour y parvenir, deux « difficultés majeures » se posaient : il aurait fallu que l’association ne pratique plus de discrimination d’origine, ni rupture de l’égalité des sexes. Le verdict est sans appel : « Le premier point est contraire à l’esprit de notre association et, pour le second, nous ne pouvons pas modifier des règles qui n’appartiennent qu’à un pouvoir souverain. Cela met fin au projet de révision de nos statuts ». Le président aurait dû relire Le guépard. L’ANF cherche désormais par quels tours de passe-passe elle pourrait isoler certaines de ses activités pour leur faire « revêtir l’intérêt général et bénéficier des prérogatives fiscales qui y sont attachées ». Ce prix d’excellence, dont la présentation insiste sur le rayonnement procuré par le travail de l’étudiant ou de l’étudiante titulaire, est l’un de ces tours.

Si la loi était la même pour tous, la présidence de l’ANF devrait pourtant, aujourd’hui, s’inquiéter de l’existence même de l’organisation, puisque l’amendement anti-Unef devra permettre de dissoudre les associations « qui interdisent à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion ».

Notes : Les citations, sauf la dernière, sont extraites du site Internet de l’ANF.