Congrès de l’ACFAS 2021 : Colloque « Jeu excessif et autres dépendances comportementales : de la recherche à l’accessibilité des soins »

Congrès de l’ACFAS 2021 : Colloque « Jeu excessif et autres dépendances comportementales : de la recherche à l’accessibilité des soins »

Université de Sherbrooke, Université Bishop’s (Canada)
5 Mai 2021

Programme : https://www.acfas.ca/evenements/congres/programme/88/100/102/c.

Mercredi 5 mai : « La gam(bl)ification : vers un envahissement de la vie par le jeu (d’argent) ? », par Aymeric Brody (EPITECH).

Défini comme le fait d’importer certains principes ludiques issus des jeux d’argent dans le cadre d’un dispositif de jeu sans argent, le concept de « gamblification » pourrait plus largement s’appliquer à l’ensemble des dispositifs techniques et des procédés marketing/publicitaires qui visent à rendre la pratique des jeux d’argent possible et accessible là où elle ne l’est pas encore. Ce sont les effets de ce processus d’extension du domaine des jeux d’argent que nous tenterons d’analyser dans le cadre d’une présentation centrée sur la façon dont il affecte plus ou moins directement la vie des joueurs en fonction de leur rapport au jeu. Du côté de ceux qui vivent la pratique des jeux d’argent comme une « passion ordinaire », nous nous pencherons en particulier sur le cas des joueurs amateurs de poker que nous avons rencontrés dans le cadre d’une enquête de terrain réalisée en France entre 2006 et 2011. En analysant les récits de vie que ces joueurs nous ont livrés, nous constaterons qu’ils peuvent tout à la fois accorder une place limitée à leur pratique du jeu – celle d’un loisir comme les autres – et s’y investir pleinement au point d’en faire une sorte de métaphore de leur vie quotidienne. Du côté de ceux pour qui cette pratique des jeux d’argent est vécue comme une « passion obsessive », nous nous tournerons vers les membres d’un groupe de Joueurs Anonymes que nous avons suivis lors d’une autre enquête de terrain menée entre 2018 et 2019 en Belgique. À travers l’étude de leurs récits et de leurs échanges au sein du groupe, nous découvriront que ces derniers perçoivent cette extension du domaine des jeux d’argent comme une tentation permanente ayant pour conséquence un envahissement de la vie par le jeu face auquel ils sentent largement impuissants.

Jeudi 6 mai : « Les groupes de parole à destination des joueur·e·s : comparaison entre un groupe d’entraide et un groupe de liaison », par Aymeric Brody (EPITECH ) et Elise Bourdin (Paris 8).

Malgré le rôle important que les Gamblers Anonymous (GA) ont joué dans la reconnaissance, le traitement et la prévention de l’addiction aux jeux d’argent, il existe aujourd’hui encore assez peu d’études scientifiques sur les groupes de parole destinés aux joueur·se·s, certains auteurs parlant même d’une véritable « boîte noire » tant il semble difficile de mesurer l’efficacité réelle de ce type de dispositifs. Les quelques études réalisées sur le sujet débouchent d’ailleurs sur des résultats souvent contrastés voire contradictoires. Certaines d’entre elles louent par exemple l’utilité des groupes d’entraide type GA dans la mesure où ils offriraient aux joueur·se·s un environnement sécurisé leur permettant de parler de leurs problèmes de jeu sans se sentir juger, de partager les savoirs expérientiels associés à leur démarche d’abstinence, de se soutenir entre pairs et de nourrir ensemble l’espoir d’un possible rétablissement. En revanche, d’autres études en pointent plutôt les limites, relevant notamment la forte attrition de l’adhésion à ces groupes dans la durée, la démarche d’abstinence prônée par les GA contribuant, semble-t-il, à décourager une partie importante des membres, surtout parmi ceux qui se perçoivent comme les moins dépendants. En termes d’accès aux soins, on notera également que certaines études présentent ce type de groupes comme une « option de traitement accessible », en particulier pour des personnes à faibles revenus, alors que d’autres estiment au contraire que les membres des GA ont des revenus plus élevés que les autres joueur·se·s dits pathologiques. Autant de divergences et de contradictions qui témoignent de la nécessité d’approfondir et d’étendre les recherches menées au sujet de ces groupes destinés aux joueur·e·s ayant des problèmes d’addiction aux jeux d’argent.

Dans le cadre de cette présentation, nous comparerons ainsi deux groupes de parole que nous avons suivi ces dernières années en tant que chercheur·e et/ou professionnelle. S’inscrivant dans des perspectives différentes, le premier est un groupe d’entraide type GA qui se réunit chaque semaine à Bruxelles pour permettre aux joueur·se·s qui y participent (essentiellement des hommes issus de milieux sociaux assez divers) de parler de leurs problèmes de jeu, d’échanger leurs savoirs expérientiels et de se soutenir mutuellement dans leur parcours de rétablissement. Si l’abstinence n’est pas forcément une condition d’adhésion au groupe, elle demeure néanmoins une finalité pour les membres qui s’y inscrivent dans la durée. Le second groupe de parole étudié se présente pour sa part comme un groupe de liaison organisé chaque mois dans l’enceinte d’un casino situé dans le nord de la France. Porté notamment par un Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) basé à Valenciennes (Le GREID), ce dispositif vise précisément à aller à la rencontre des client·e·s présentant des problèmes d’addiction au jeu (sensiblement des femmes issues de milieux plutôt modestes) pour leur donner la possibilité d’exprimer leurs difficultés mais surtout pour échanger sur les risques associés à leurs pratiques et éventuellement les orienter vers des dispositifs de réduction des risques (par exemple, la limitation d’accès aux salles de jeux, l’interdiction de casino) et/ou de soins (par exemple, un suivi thérapeutique individuel). Contrairement au premier groupe, celui-ci se situe donc davantage dans une optique de prévention que dans une perspective de rétablissement ; néanmoins, ces deux groupes ont en commun de jouer localement un rôle important dans l’accès aux soins (au sens large) des joueur·se·s parmi les plus vulnérables et souvent les plus éloigné·e·s des dispositifs de soins traditionnels.